La Fête du Vert

Cette mise en soixantaine nous a fait sauter (je n'ose pas dire allègrement) de l'hiver à l'été : à la mi-mars, nous devions encore chauffer la maison, la nuit tombait vers dix-neuf heures quand le ciel était couvert, nous nous consolions de la privation de sorties en regardant des films le soir... Les grands frênes autour de nous étaient encore bien gris, le jardin endormi se réveillait parfois blanc de gelée nocturne.


Deux mois plus tard, après un avril radieux, le plus chaud et le plus ensoleillé depuis des années, comme pour narguer les citadins confinés, nos soirées étaient déjà estivales ; quand le soleil descendait sur la rivière les roses et les seringats embaumaient, nous dînions dehors, tant pis pour les chefs-d'œuvre du septième art qui attendraient les soirs de pluie... ou l'hiver prochain.



Avides d'infos au début du confinement, nous préférions maintenant le silence du jardin, le ronronnement de la cascade proche, l'attente des rossignols.


De toutes façons les journaux télévisés étaient lugubres, moulinant la ritournelle de la peur ; le monde n'existait plus qu'à travers la pandémie, tout le reste était oublié, les dictatures, les guerres, les migrants, les déforestations et autres exactions.




Pendant cette parenthèse d'arrêt sur image, sans faire de bruit la nature s'était embrumée de vert  puis avait déployé ses feuilles, un peu étonnée qu'on la laissât tranquille... Où donc étaient passés les hommes ? Plus de mouvement, plus de bruit.


Les pissenlits et les mousses colonisèrent les dallages, les bêtes rassurées osèrent s'aventurer jusqu'au cœur de villes devenues muettes, les hérissons traversèrent sans se presser des routes désertées. Le lierre poussait ici, le liseron se faufilait là, les parcs  s'ensauvageaient, les squares se paraient d'herbes folles, les abeilles butinaient sans être dérangées... Les fêtes de début mai passèrent, engluées dans le farniente imposé.


Lui aussi est masqué

Puis l'on vit ressortir les hommes, des hommes masqués, gantés, prudents, qui ne se saluaient plus, qui ne s'embrassaient plus, des hommes taiseux et résignés qui faisaient la queue en tapotant sur leur clavier devant les magasins, tête baissée, respectueux des marquages au sol... Dans un espace public où quelques mois plus tôt on avait décrété que le visage devait être découvert, tous avançaient masqués, c'était la nouvelle règle... Dans une société où l'on avait déclaré la guerre au plastique on mettait du plexiglas partout, on ne se voyait plus qu'à travers des cloisons transparentes... Que ferait-on de tout ce plastique, on n'en savait rien sans doute, on verrait plus tard... On proposa partout du gel désinfectant dans de grandes bouteilles (en plastique évidemment). Cependant on s'inquiéta davantage de la santé de la planète, on écouta quelques Verts notoires et alarmistes,  on rajouta dans certaines enseignes jusque là indifférentes au bio des rayons de désinfectants naturels, vinaigre blanc, bicarbonate de soude, savon noir etc., sans doute pour se donner bonne conscience, car on y vendait encore de méchants biocides... Le chaland ne baguenaudait plus, on devait suivre les flèches, ne pas faire demi-tour, on allait à l'essentiel, on n'achetait que l'indispensable, on avait intérêt à savoir ce qu'on voulait...



Juin approchait : indifférente aux angoisses des hommes, la nature déploya tous ses charmes, c'était facile en cette saison, elle avait le beau rôle ; peut-être seraient-ils plus attentifs à de toutes petites choses puisque pour le moment ils ne pouvaient plus voyager très loin... peut-être regarderaient-ils enfin ce qu'ils avaient sous le nez. 


Elle juponna les roses, elle velouta les iris, elle enguirlanda les vieux murs, elle fit gazouiller les nids, elle s' offrit tous les verts de la création, elle invita les citadins à aller investir à la campagne, à se mettre au vert justement, les villes n'attiraient plus autant...




Malmené par ses congénères, Woody est venu se remplumer chez nous 





   Ces néoruraux voulant vivre sainement, on acheta des produits locaux chez de petits producteurs, on éleva des poules, on créa des potagers, on planta des fruitiers, on laissa quelques herbes folâtrer car on pensait aux insectes, on fit ami ami avec tous ces arbres qui. étaient vivants, qui communiquaient entre eux, on le savait maintenant, on se mit à les regarder d'un autre œil, on eut des rêves verts.

Mais il est bien court...   

Ma tomateraie,  du Land Art... Quant à produire des tomates ...



On se dit qu'on allait manger moins de viande, ou même plus du tout, on se dit qu'on allait consommer moins, consommer mieux, on se dit qu'on allait essayer de vivre autrement, que notre vie allait prendre un tour nouveau, on se fit mille promesses, une ère nouvelle commençait...


Puis un jour les cafés et les restaurants rouvrirent leurs portes, les terrasses se remirent à chanter, les villes sortirent de leur léthargie, les belles aux toits dormants se réveillèrent...
... Et demain ? La campagne séduira-t-elle autant quand rouvriront les cinémas et les salles de spectacle, quand les affiches ne nous proposeront plus des concerts et des festivités d'avant, ou qui ont été déprogrammés, quand la publicité hélas reprendra ses droits ? Que nous réservent ces lendemains de grande incertitude ? Nous verrons bien... en attendant je continue ma vie au vert, c'est la seule qui m'intéresse...  A bientôt !

8 commentaires:

  1. Quel jardin bien entretenu !! Magnifique !

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    1. J'avais un jardinier efficace en confinement chez nous...

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  2. Bjr. Comme tout est bien raconté, sans les hommes la nature a vite fait de reprendre ses droits, pour ma part elle m'enchante. Je vis dans une petite ville et à 5 km de cette ville c'est la campagne, les prés, les bois, et c'est un réel plaisir de profiter de longues ballades dans ces bois, et aussi être au jardin qui est une mini campagne. j'espère que oui les hommes auront compris, autour de moi (depuis que j'ai repris le travail) beaucoup penche vers une nouvelle façon de consommer, de vivre en accord avec la nature, et puis je vais en courses et la dans les rues et même dans les supermarchés, des masques qui trainent, nouvelle pollution, et je me dis que cela ne changera jamais, j'avoue que je ne comprends pas ce genre de comportement; et je doute du genre humain. Malgré tout je garde espoir pour mes enfants et petits enfants. Bonne journée. Ps plutôt pessimiste aujourd'hui désolée

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  3. Bonjour Marie, pessimiste ou lucide ? On constate, on déplore, on s'insurge, on n'y peut rien, certains hommes sont extraordinaires, d'autres agissent comme des nuisibles, je ne dirai pas porcs, ce serait insulter ces braves bêtes... Auront-ils compris ? Pas tous hélas, on le voit tous les jours. Restons sereins si nous pouvons et continuons à apprécier ce qui peut encore l'être, nous qui avons la chance de vivre dans(ou près de ) une campagne préservée...
    Merci pour votre commentaire , amicalement, Minne

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  4. La Fête du Vert...titre prometteur, j’adore le Vert!
    . Couleur apaisante : nécessaire en cette bizarre époque tellement anxiogène.
    . Couleur de l’espoir : fin? de la pandémie...mais désespoir d’un retour à lavant...Dubitative quand aux promesses de changement.
    . Couleur de la chance : confinés mais épargnés...(Aude respire mieux!)
    . Couleur du diable : de l’incorrigible BFM.Adieu pandémie / bonjour la haine des flics( Hugues en 1ère ligne!)
    .couleur des liens amicaux ( je ne l’ai pas inventé !): A ma chère et fidèle amie Minne : «  épanouie » est le mot qui me vient à l’esprit à la lecture et re- lecture de la Fête du Vert ( qui tient donc ses promesses..!).
    La couleur rose associée au vert illumine tes photos...
    Persiste ,ton blog vaut le détour!
    Laurence.

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  5. Tu n’es pas là seule à mériter ces compliments...Marc a, semble-t-il été d’une aide précieuse !Et je n’oublie pas ton JF, qui, par sa présence durant ces semaines de confinement a grandement contribué à l’épanouissement que j’évoque plus haut ! Bravo!Mes compliments à tous les 3 pour ce résultat : de beaux moments vécus dans un environnement que je qualifie sans outrance de paradisiaque ! Laurence

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    1. Double réception hier : ton commentaire (que je n'attendais pas si tôt) et dans la foulée ta lettre (que j'espérai mais que j'appréhendais un peu). La prise de connaissance du premier m'a permis d'ouvrir sereinement la seconde, et de la déguster en même temps que mon café. Nous sommes vraiment le Rat des Villes et le Rat des Champs, encore ce bon La Fontaine. Mais toi tu es plutôt Voltaire, avec ton optimisme à toute épreuve qui me rappelle un célèbre conte philosophique, moi je suis du genre pessimiste joyeux, peut-être l'influence de J.F. mais pas que, dirait-on aujourd'hui en vilain français... Deux fois merci donc, la suite par courrier... Il est vrai, tu l'as bien senti, que notre trio a parfaitement fonctionné, chacun des deux étant précieux et efficace dans son domaine et complémentaire de l'autre. Amitiés à vous deux, déjà citadins (j'ai du mal à ne plus vous imaginer dans votre forêt)...

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