Dur dur d'être écolo...


En avril, l'herbe pousse vite, il faut tondre, il le faut, tous ceux qui viennent me le disent, à croire qu'ils se sont donné le mot, en jetant un regard consterné sur notre jardin, ou plutôt notre pré constellé de fleurs des champs ; moi j'aime bien les fleurs des champs, je ne vois pas où est le problème pour le moment, je préfère garder mes boutons d'or et mes saponaires, je fais ma récalcitrante... Je n'approuve guère ces inconditionnels de la coupe à ras qui ne supportent pas qu'une pâquerette relève sa jolie tête sur leur tapis-brosse et se précipitent rageusement sur leur tondeuse dès que leur pelouse sèche un peu entre deux giboulées... Ils martyrisent leur herbe, leur gazon cet été ne s'en portera pas mieux, il deviendra paillasson s'il n'est pas arrosé, premier problème, surtout si l'été est sec et l'arrosage réglementé...


Mais cependant un jour il faudra bien que nous nous résolvions à faire une tonte, même haute... or nous n'avons qu'une toute petite tondeuse pour un micro jardin ; ici, avec plus de deux mille mètres carrés, il faudrait un autre engin, pourquoi pas autoporté, j'en frémis : outre que c'est cher, ça tient de la place, où le stocker ? Et acheter ce monstre encombrant dévorateur de fleurs des champs et affameur d'insectes pour deux tontes par an serait une dépense inconsidérée.


Et puis ça fait du bruit, ça boit du gas-oil, donc ça pollue, ça malmène tout ce qui voudrait pousser, tout ce qui voudrait vivre, le bon comme le mauvais... bref ce n'est pas très écologique comme méthode... Voyons voyons, existe-t-il des tondeuses respectueuses de l'environnement  ? Je tape sur le clavier, je trouve :
  • les chèvres des talus qui  nettoient certes, que rien ne rebute, mais qui sont friandes de rosiers... je passe vite, pas question, j'aime trop les roses...

  • des moutons, de gentils petits moutons noirs d'Ouessant, c'est très efficace paraît-il ; je me renseigne auprès du GEMO (groupe d'éleveurs de moutons d'Ouessant) et aussi auprès d'une amie qui gère un cheptel de quelques milliers d'ovins, je demande à droite, je demande à gauche : on rit sous cape ou ouvertement, on argumente, on me dissuade ; non je ne suis pas prête à couper mon jardin en deux parcelles pour alterner les pâturages, à avoir en plus d'un abri un hangar à foin pour l'hiver, à gérer les tontes, les maladies, la descendance inéluctable,  les jolis agneaux qu'il faudra voir partir, les agressions des béliers, je n'avais pas pensé aux aléas, je renonce à mes moutons, un peu déçue...
  • en poursuivant mes investigations (pendant que les herbes folles envahissent mes massifs, je ferais mieux de désherber) je trouve LA solution : des oies, oui, mais pas n'importe lesquelles, des oies brouteuses, des blanches du Poitou,


celles que l'on exploitait autrefois chez les plumassiers, avant que l'on ne fît du duvet synthétique avec des dérivés du pétrole (le monde parfait n'existe pas). Je me renseigne pour savoir comment on plumait ces pauvres bêtes, c'est horrible, j'apprends qu'aujourd'hui encore on n'y va pas par quatre chemins en Chine et même ailleurs, je me dis que je n'achèterai plus jamais de doudoune ni d'édredon en duvet naturel... Comme elles n'avaient plus leur utilité, ces oies se sont raréfiées au point de devenir une espèce en voie de disparition.

Ce sont pourtant les plus jolies des oies, elles ont un duvet très doux sous les plumes, elles préfèrent les herbes aux graines, elles ne touchent pas aux fleurs : Jean est d'accord, c'est tout à fait ce qu'il nous faut... (celle-ci n'a pas le cou pelé, ce sont mes doigts qui lui font un col de cygne.)


Nous allons travailler pour la préservation de cette espèce, c'est un but noble, nous aurons donc des oies qui ne seront jamais ni gavées ni plumées, les veinardes, et qui entretiendront notre jardin.

Je trouve enfin un élevage en Poitou, nous commandons un jeu d'oies, deux femelles pour un mâle, les jars sont bigames ; début mars on m'annonce que les œufs ont été pondus, je patiente pendant un mois, je dois aller chercher mes bébés une semaine après l'éclosion.

Par un beau matin d'avril je parcours près de trois cents kilomètres, j'arrive dans un plat pays de mégalithes au sud de Thouars, premier arrêt, d'abord un peu de tourisme. Vestiges du néolithique... Elevait-on déjà des oies à cette époque ? Peut-être (les Egyptiens, d'après les fresques des tombeaux, les gavaient de figues)...

Je parviens enfin à l'élevage en question où, à peine descendue de voiture, me voilà agressée par deux oies furibardes qui ont bien failli me pincer les mollets et me faire remonter dans mon véhicule et renoncer à mon projet à tout jamais ; mais ce n'était qu'une intimidation, après tout peut-être n'aurions-nous pas été cambriolés l'an dernier si nous avions eu des oies dans notre jardin vendéen, voyez celles du Capitole qui ont sauvé Rome...


Donc mes futures brouteuses sont bien là, prêtes pour un long voyage, des bébés babillards à long cou mais, comme les Trois Mousquetaires, elles sont quatre, deux jars et deux oies (elles avaient été sexées la veille par un spécialiste, un sexoielogue, j'étais impressionnée mais inquiète : et s'il s'était trompé ? Si je ne ramenais que des jardillons, pardon on dit là-bas des pirons...) ? Qu'auriez-vous fait à ma place ? Allai-je emporter mon trio et laisser d'Artagnan tout seul comme un malheureux, privé à tout jamais de ses frère et soeurs de couveuse ? Je repars donc avec les quatre, en espérant que deux jars au lieu d'un, ce ne sera pas un motif de cacardages supplémentaires... quoi que, nous supportons bien les vrombissements des tondeuses, nous...






Les voilà, je vous  présente mes enfants-oies quelques jours après leur arrivée, lors de leurs premiers pas au soleil, pas trop beaux encore car leur dos est comme mité, laissant voir la peau rose, frileux et quelque peu apeurés.






Il leur faut dormir au chaud sous une grosse lampe chauffante qui émet une lueur rouge, on dirait une enseigne de lupanar.


Les nuits d'avril furent très froides, je me levais régulièrement vers trois heures pour aller vérifier si la lampe fonctionnait bien.


 



Puis le cou et les pattes s'allongèrent, le corps s'élargit, puis sur le dos leur vint un fin duvet blanc qui s'épaissit de jour en jour, puis les courtes ailes se parèrent de plumes, puis leurs pattes en éventail, qui devenaient de plus en plus robustes, durent être baguées : numéros pairs pour Akka et Sidonie, impairs pour Waldo et d'Artagnan.

  






Le baptême des oies fut le prétexte du premier apéro sur la terrasse en joyeuse compagnie, il faut ce qu'il faut.
Elles sont venues pour m'aider au jardin, elles l'ont compris tout de suite ; les jours de soleil je  leur octroie la liberté lorsque la rosée du matin est tombée car elles sont encore vulnérables.
Elles ont vite été familiarisées avec leur domaine et les facéties de Nala qu'elles tiennent en respect en tendant un bec menaçant, elles ont appris à vivre avec ces bêcheuses de poules et ces infatués de coqs qui les regardent de travers...




Dès leur première sortie elles se sont mises à l'ouvrage... Là elles ont déjà trois semaines, voyez comme elles blanchissent, le jaune ne sera bientôt plus qu'un souvenir... et tant mieux !


Cependant la moindre averse peut encore leur être fatale ; quand les demoiselles  (et damoiseaux) sont  aux champs l'un de nous est obligé de rester à la maison pour les surveiller, et cela pendant huit semaines, jusqu'au complet emplumement. Nous n'avons jamais autant scruté le ciel, et nous consultons souvent  le site météo : pleuvra-t-il à Tocane dans l'heure ?



Comme elles sont nées en couveuse, elles n'ont pas eu de mère-oie ; aussi croient-elles sans doute que c'est moi qui les ai couvées et elles me suivent partout ; je dois filer à l'anglaise quand je quitte le jardin, sinon je les retrouve installées à m'attendre sur la terrasse, qu'elles maculent de jolis boudins verdâtres, on dirait de la purée d'épinards.


Il m'arrive de rêver d'un monstre vrombissant qui serait bien sagement remisé dans le poulailler, que l'on nourrirait de carburant, qui ne fienterait pas, qui ne me suivrait pas jusqu'au seuil de la cuisine, qui ne craindrait pas un refroidissement, qui ne m'imposerait pas une telle sédentarité...
Mais  lorsque nos oies viennent vers nous, joyeuses de nous retrouver, babillardes, l'œil confiant, amical et bleu, lorsqu'elles nous laissent caresser leur dos ouaté comme de bons toutous, nous ne regrettons rien, nous imaginons déjà combien elles seront de précieuses auxiliaires pour l'entretien du jardin.



Elles ont déjà tondu vaillamment leur petit secteur mais il reste beaucoup à faire, allons-nous persister dans notre refus de tondeuse ? Notre plus proche voisin, compatissant, dubitatif sur l'efficacité de nos brouteuses, m'a déjà proposé les services de la sienne, je résiste.
J'allais oublier un autre avantage : la litière souillée éparpillée dans les massifs, ce n'est peut-être pas du meilleur effet pour le moment, mais cela prépare de belles floraisons pour l'été.


Vous ai-je convaincu(e) ? Qui voudra des œufs de nos oies l'an prochain (œufs fécondés j'espère) ? Car je ne vais quand même pas m'adonner à un élevage... A bientôt !

4 commentaires:

  1. J'ai passé un bon moment en ta compagnie, tu nous donneras des nouvelles ? Je me demandais si elle broutaient aussi les pissenlits et autres "adventices" ?
    Bonne semaine
    AA

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    1. Merci beaucoup AA, enfin quelqu'un qui s'intéresse à mes oies ; je donnerai de leurs nouvelles dans les prochains billets, pour le moment elles broutent consciencieusement l'herbe du pré (je n'ose pas l'appeler jardin), mais pour les pissenlits et autres je n'ai pas remarqué, l'important pour moi étant qu'elles respectent les fleurs et plantations des massifs. Amicalement
      Minne

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  2. Je me suis régalée à la lecture de ton billet ! On te suit avec délices dans tes interrogations et ta quête d'éco-responsabilité dans le domaine de la tonte. Je suis comme toi, j'ai du mal à tondre les fleurettes qui parsèment ce que je n'ose appeler une pelouse, plutôt un herbage et ma petite tondeuse pas vraiment adaptée à la taille du jardin fait de grands cercles pour éviter soigneusement tout ce qui plait à mon oeil que ça s'appelle primevère, bouton d'or, fleur de trèfle ou autre. Un petit coin du jardin reste délibérément fouillis et je n'y toucherai pas c'est certain. Les chèvres, c'est non, je ne suis pas fan de ces animaux. Idem pour les oies, qu'elles aient sauvé le Capitole ou pas ( je ne serai donc pas preneuse de tes oeufs à la prochaine ponte ). Par contre, je craque devant le mouton d'Ouessant et s'il n'y avait tant de contraintes j'en adopterais bien volontiers un ou deux.
    J'espère que Akka, Sidonie, Waldo et D'Artagan se portent bien et sont à la hauteur de la tâche qu'il leur incombe d'accomplir. Nous attendons bien évidemment la suite de leurs aventures !
    Bises Marie *

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    1. Bonjour Marie, merci pour ce long commentaire qui montre une fois de plus que nous sommes sur la même longueur d'ondes, sauf pour le choix de l'animal brouteur (ceci dit, mes oies se montrent très efficaces, il faut les voir désherber les plates-bandes d'iris sans toucher aux plantes et aux fleurs, un mouton ne te fera pas ça); mon article démarre doucettement, il n'y a pas le même intérêt pour l'écologie que pour la déco -je m'en doutais un peu- Amicalement, Minne

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