Si la Dronne m'était contée


Je suis née près du sommet des Cars qui contemple du haut de ses presque 600 mètres la campagne limousine, sur la commune de Bussière Galant, non loin de Châlus où Richard d'Angleterre, qui n'était pas venu galer mais combattre, reçut en 1199 dans son Cœur de Lion une flèche fatale...
Je suis alors un minuscule ru qui serpente entre des prés d'un vert de faux gazon, des prés meuglants où des vaches pensives et pansues allaitent de joyeux petits veaux qui finiront bientôt en médaillons et en  escalopes...

 

Quittant la Haute-Vienne, j'entre en Dordogne à Mialet ; je suis fière de traverser le nord-ouest de ce département que parcourent tant d'illustres consœurs : l'Isle où se mirent les coupoles orientalisantes de Saint-Front, au cœur de Périgueux la gourmande ; l'Auvézère industrieuse aux pittoresques gorges ; la Vézère où des hommes du paléolithique élurent domicile, ces homo sapiens qui peignirent dans les grottes de bondissantes fresques de vaches et de chevaux, des rennes arborescents et de curieux hommes à tête d'oiseau qui font penser à certains dieux égyptiens, et tant d'autres...
Et la Dordogne, le long fleuve porteur de gabares, le fleuve tranquille qui assista au fracas de sombres batailles entre ses châteaux-forts, à des rivalités sans merci entre des gens dont les descendants trinquent joyeusement sur les marchés d'aujourd'hui... car chacun sait que l'Aquitaine et surtout le Périgord sont redevenus franco-britanniques...
J'allais faire l'impasse sur le Dropt, si limitrophe qu'on l'oublie un peu, et puis il est si différent de nous, assez peu dordognais finalement, mais il traverse quand même de bien jolies bastides, comme Eymet et sa place des Cornières aux nombreux restaurants... the place to eat.


Je suis plus discrète, je suis plus modeste, je suis plus éloignée des grands pôles touristiques, mais je cumule pourtant, tout au long de mes deux cent six kilomètres, tout ce que les autres se targuent de posséder : j'ai mes cascades, je vous invite au Saut de Chalard et vous verrez si je mens. Evidemment il y a plus tumultueux comme torrent, mais après un été aussi sec et aussi caniculaire que celui-ci, encore heureux que je ne sois pas complètement à sec !


Il paraît qu'une cloche qui a dévalé la pente abrupte depuis le village d'Abjat y sonne toujours certains soirs, rappelant la tragédie de cette jeune fille trop belle qui eut le front de préférer un paysan au seigneur du coin qui la courtisait... Ce dernier, harceleur bien avant MeToo, malmené par les villageois, n'aurait-il pas été métamorphosé en arbre ?
 
J'ai aussi mes falaises et mes abris sous roche, comme ici à Grand-Brassac : de gigantesques cèpes de pierre semblent menacer la petite route.


J'ai même des grottes ornées à Villars, modeste Lascaux du Périgord Vert mais dont les rares peintures visibles sont plus anciennes (!) et d'autres sans doute que l'on découvrira un jour -ou pas ; des ruines imposantes, comme celles de l'abbaye de Boschaud, toujours à Villars ; bon, vous allez me dire que j'exagère, que je ne traverse pas Villars mais Quinsac, le village voisin, distant de quelques kilomètres... Mais ces ruines et cette grotte valent quand même un petit détour, je vous assure...



J'ai des kyrielles de moulins, de ponts et de guinguettes,



des arbres remarquables comme ce peuplier de Brantôme qui affiche 150 ans mais en a peut-être beaucoup plus...

 
Mes eaux claires alimentent les fontaines des petits villages.


Je traverse Brantôme en embrassant son joli cœur de pierre blanche et je donne un double aquatique à sa superbe abbaye fondée par Charlemagne (paraît-il) et dont le plus célèbre abbé fut, au XVI° siècle, un illustre voisin, Pierre de Bourdeilles, qui publia des mémoires parfois lestes (eh oui...) sous le nom de Brantôme.


Peu pressée de quitter ce lieu dont la magie résiste aux flux de touristes de l'été comme aux vents glacés de l'hiver je paresse au pied des falaises, charriant des défilés de canoës ; puis je m'attarde sous les tours crénelées du château de Bourdeilles ; ce village, si pittoresque pourtant, somnole un peu, éclipsé par la notoriété de sa jolie voisine. Bourdeilles mériterait  un peu plus de reconnaissance ; son donjon se poudre d'or dans le soleil couchant (alors que Brantôme vire au mauve sous ses falaises) et Bourdeilles devient merveille au crépuscule, quand vous remontez la rue pavée sous les réverbères vers sa petite église en longeant de remarquables maisons. Mais ne vous inquiétez pas trop, car Bourdeilles a aussi ses amoureux inconditionnels qui réveillent peu à peu la belle...


Puis je fais ma balnéaire à Lisle où une plage a été aménagée sous le vieux pont


et j'arrose Tocane où fut percepteur l'auteur de Jacquou le Croquant,



je flâne dans les vallons du Périgord Vert, je reçois les eaux laiteuses des plateaux du Périgord Blanc ; en passant par Saint-Méard je perds un "n" et l'on me coiffe d'un accent circonflexe...
Mais après Ribérac je dois quitter cette terre bénie car je deviens limite départementale à Petit-Bersac, et me voilà en Charente ; je serpente au pied de la jolie petite cité d'Aubeterre et je rejoins l'Isle près de Coutras en Gironde... Mes eaux si transparentes se mêlent alors aux eaux glauques de la rivière puis plus loin se perdent dans l'estuaire dont le bec s'élargit jusqu'à l'Atlantique.

Mon histoire s'arrête là, mais je n'oublie ni les éperons rocheux coiffés de châteaux de mon haut cours


ni les bocages sous les aulnes et les frênes ;

 

ni mes gardiens, singulières statues, tutélaires calvaires, sculptures de métal...



je n'oublie pas non plus mes moules perlières, mes truites, les agrions de Mercure qui parsèment mes chevelures de bijoux turquoise (ce sont tout simplement des libellules, mais je fais ma savante) mes grenouilles et mes hérons, mes pipistrelles et mes lézards,


mes hiboux et mes rapaces toujours à l'affût et depuis peu de grands palmipèdes blancs qui batifolent bruyamment vers le soir du côté de Tocane : ce sont les oies de Minne... Changeront-elles en cailloux d'or les petits galets qu'elles dérangent parfois de leur bec puissant, comme celles de la légende ?


Vous devez les connaître, leur gardienne vous en rebat les oreilles depuis près de six mois ! Il est vrai que j'ai rarement vu blanc si éblouissant... On dirait l'œuvre d'une fée, une petite fée qui hanterait les abords du vieux moulin du côté de la grange aux oies... Chut, la voilà... Trois petits tours et puis s'en va... gageons qu'elle reviendra...


7 commentaires:

  1. Ce cheminement en ta compagnie est très agréable, et si bien conté.
    Bon dimanche
    AA

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour ton commentaire, je devais bien ce petit article à notre modeste rivière, tellement oubliée dans la plupart des guides et documentaires sur le Périgord !

      Supprimer
  2. Quoi de plus enchanteur que ton « poème »en prose sur ces trésors patrimoniaux que sont La Dronne et ses rives pleines de richesses, cachées pour beaucoup.
    Cette narration de ce bel héritage de Dame Nature illustre au mieux La Journée Du Patrimoine .
    Merci Minne, ce moment « Culture» fut un beau cadeau à l’agoraphobe que je deviens...
    Et l’automne demain !
    Je suis impatiente ...

    RépondreSupprimer
  3. Bel automne à Jf et à toi...
    Fais des photos aussi réussies - bravo!- ( que celles - ci, lumineuses, ) de cette nouvelle saison que tu découvres aux Pipistrelles .
    Je suis sûre que tu vas te RÉGALER, à tous points de vue!
    Enjoy !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Poème en prose, comme tu y vas, mais cela me touche énormément ; console-toi, je déteste les foules moi aussi et j'ai passé les journées du patrimoine à "bidouiller" dans notre grange ; par contre cet article a nécessité des promenades, seule ou en toute petite compagnie, bien agréables... Et je continue, sous la pluie enfin là, fidèle au rendez-vous fixé par l'automne, ce premier automne tocanais.

      Supprimer
  4. Bjr, quelle jolie façon de raconter votre région, en suivant la Dronne on se promène avec vous, merci.Bonne journée

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Marie d'avoir bien voulu partager cette promenade avec moi... A
      bientôt, il y en aura d'autres !

      Supprimer