Secrets de truffe

Qu'est-ce ?



Une toile échappée d'un certain musée de Rodez  et sur laquelle il aurait neigé ? Une sculpture contemporaine ? Un crottin de cheval un matin de givre ?  Non, rien de tout cela, simplement une truffe que j'avais eu l'imprudence de mettre au congélateur ce qui, quoi qu'on en dise, est un crime de lèse-truffe...






Il paraît que l'espagnole  est aussi parfumée et goûteuse que la nôtre...  qué no, quelle plaisanterie ! Admettons que des palais  moins exercés s'y trompent, peut-être m'y tromperais-je moi-même dans une dégustation à l'aveugle... mais une dégustation à l'aveugle ce n'est guère sérieux... la papille a besoin de la pupille ! Le goût est le plus grégaire de nos sens, il n'est rien sans les autres.


La dégustation d'une truffe comme celle d'un vin commence par le nez, sa présence doit se deviner de loin, embaumer tout une pièce, sinon flairez l'arnaque (il nous est arrivé de rapporter à un vendeur roublard une truffe approximative : au bout de trois kilomètres nous avions beau dilater les narines, aucun parfum dans la voiture !...)


En Périgord les marchés  aux truffes se détectent à l'odorat ; les lundis matin d'hiver à Sainte-Alvère, la halle parfume tout le village. Bien sûr, il y a d'autres terroirs trufficoles en Dordogne, d'autres  marchés odorants en hiver. A Sorges il y a  même LE musée qui vous explique tout mieux que moi...



Mais avant de humer une truffe il faut la toucher pour juger de sa qualité : ferme, une peau grenue, des aspérités, peut-être un côté coupé parce qu'un petit ver y a fait son nid (je ne dis pas ça pour vous dégoûter) ; on ne peut pas dire que ce soit un beau champignon, comme le cèpe rondouillard ou la girolle au jupon virevoltant, ou encore la morille d'avril enguirlandée de fils d'argent... Elle est grosse comme un dé ou comme un oeuf le plus souvent, mais il y a des phénomènes dont le poids et le prix sont astronomiques et qui n'en seront pas meilleures...


Non, la truffe n'est pas coquette, elle est même rudimentaire au point de vue physique, comme ces personnes qui n'ont pas besoin de parure pour exister et pour plaire...
La truffe, c'est  enfin ce léger craquement sous la dent qui libère les arômes, cette impression fugace de briser un secret, lorsqu'on la consomme émincée en lamelles sur du pain beurré par exemple...



Mais la truffe, c'est aussi tout un univers suggéré : ce sont les "brûlés" autour de petits arbres, ces ronds de terre rouge ou blanche et caillouteuse, stérile, au-dessus des racines mycorhizées... Ils se forment  naturellement mais celui-ci a été quelque peu retravaillé par l'homme, ce bougre qui prétend tout civiliser et qui détruit tout... La truffe c'est une saison, aussi (qu'on ne me parle pas de la truffe d'été, insipide.)


C'est un petit matin d'hiver et de gelée blanche, sans vent, puis quand le soleil monte, la sarabande des mouches, ces mouches dorées qui épargnent au trufficulteur exercé la nécessité d'un chien... ou la présence encombrante d'un cochon.

Quand vous tenez une mouche vous ne la lâchez plus, vous suivez son vol obstiné et repérez les brindilles ou les cailloux sur lesquels elle vient plusieurs fois se poser ...


C'est là-dessous, à quelques centimètres sous terre, que se trouve le précieux tubercule, il suffit de creuser un peu pour l'extraire... Vous croyez que j'exagère ? J'ai commencé à caver dès que j'ai pu tenir sur mes jambes, encouragée par ma grand-mère... Je connais tous les secrets mais aujourd'hui le droit de vaine cueillette est comme celui de vaine pâture, tous deux passés aux oubliettes.
Les truffières sont domestiquées, clôturées et interdites d'accès. Quant aux sauvages il y en a encore, je sais les repérer mais je n'ai pas l'âme braconnière...



Je me contente donc de cuisiner les truffes du marché, sans chercher à les conserver longtemps ; c'est mariée aux oeufs que je préfère la truffe, des oeufs avec lesquels elle a été emprisonnée plusieurs jours (depuis peu je la fais avec des oeufs d'oie, l'omelette est encore plus dorée, les oeufs brouillés encore plus onctueux !) Mais sa coquille étant nettement plus dure, l'oeuf d'oie est moins perméable aux arômes ; il faut donc émincer la truffe dans les oeufs cassés, ce qui est inutile avec les oeufs de poule (on peut même faire une omelette aux truffes invisibles, leur parfum suffit).



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J'ai fait des émules : dans une vie antérieure j'ai fait apprécier la truffe à des sacripants de douze ans, hilares, qui se sont calmés devant la concentration besogneuse d'un chien bien dressé à Sorges, patrie mondiale de la truffe (si l'on en croit les panneaux)... On est à peine chauvin à Sorges...



Les mêmes ont savouré, devant la cheminée de mon amie Maryse, des truffes cuites sous la cendre, émincées sur des toasts beurrés, après lecture de textes de Colette sur la "gemme des terres pauvres". Une autre fois j'ai fait découvrir la truffe à des non moins sacripants du même âge, mais chtis ceux-là, qui se sont risqués à flairer la boule noire qui ressemblait à un morceau de charbon. Il n'y eut pas d'opinion modérée : ou c'était une agréable réminiscence de Noëls passés chez des parents méridionaux, ou c'était répugnant -mais ça pue madame !-  Je leur ai répondu "pas plus que le Maroilles ou le vieux Lille qui sont de très bons fromages." Je suis sûre qu'une deuxième approche aura été pour eux plus positive, ils se souviendraient du grand éclat de rire de leurs camarades plus avertis... C'est ça la pédagogie !...


Quant à moi, la truffe est un peu ma madeleine... mais je n'en dirai pas plus, si je recherche mon temps perdu ça risque de faire plusieurs volumes...

Et pour terminer sur une note festive, je n'ai pu m'empêcher de photographier cette belle affiche  :


Evidemment quand je vois de la neige je ne résiste pas, j'y suis allée : peu de truffes, pas du tout de neige, mais un domaine enchanteur où André Maurois prenait ses quartiers d'été... et quelques jolis textes gourmands lus par un comédien. J'ai quand même rapporté une petite truffe,  une extraordinaire huile de noix du pays d'Ans et un miel  divin... Qui dira encore que le Périgord... mais j'arrête là, on va me traiter de chauvine moi aussi... et on aura sans doute raison.

 A bientôt !

10 commentaires:

  1. Encore un billet magnifique ! Un texte instructif servi par une plume généreuse et imagée qu'on ne se lasse pas de (re)lire. Je n'ai dégusté des truffes qu'une seule fois dans ma vie et quel souvenir ! J'étais invitée et on nous a servi des petites tranches de pain de campagne grillé, à peine beurrées, juste un soupçon, et garnies de rondelles de truffe odorante. Un délice , une expérience que j'aimerais renouveler une fois.
    J'ai souri en lisant la fin de ton billet car André Maurois, je vis quasiment avec lui.😁 Il est né à Elbeuf sur Seine, à 5 kms de chez moi. Il a ensuite acheté une très belle maison et vécu à La Saussaye, le village où j'habite. Sa femme est enterrée dans le cimetière communal. Le collège de La Saussaye dans lequel j'enseigne porte son nom, tout comme l'un des deux lycées d'Elbeuf, celui même où mes trois enfants ont étudié et passé leur bac. Seul paradoxe : je suis cernée de toutes part par André Maurois, mais, alors que je suis une très grande lectrice, je n'ai jamais lu la moindre de ses oeuvres !
    Bises Marie *

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    1. Merci Marie pour ce beau commentaire, j'espère que tu auras un jour le plaisir de retrouver la saveur de la truffe, en Périgord ou ailleurs... Je suis ravie de cette coïncidence pour André Maurois, je dois dire qu'avant de découvrir ce domaine d'Essendiéras je ne savais pas qu'il avait séjourné tant de fois en Dordogne et que Proust était un proche de l'une des aïeules de sa femme. Rassure-toi, je n'ai lu que "Climats" à l'âge où l'on ne connaît rien de la vie et ce roman m'avait beaucoup marquée à l'époque, j'ai envie de le relire pour voir si je l'aimerais autant. Amitiés, Minne

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  2. Pasdeloup Valérie16 février 2020 à 20:14

    Comme Marie, je prends un immense plaisir à te lire, le sourire ne me quitte pas alors que je te lis et admire les photographies. La truffe était un mystère pour moi, drôle de champignon, impossible à trouver, au prix élevé tant et si bien que j'avais peur de le gâcher. Mais à présent, tu me donnes l'eau à la bouche, dès que je peux, je tente sur le pain beurré pour commencer. Monique, ta plume, ton esprit mutin, tes connaissances et tes surprises sont un vrai enchantement sur la toile.

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    1. Bonsoir Valérie, merci pour ces appréciations positives, je m'en veux cependant de ne pas t'avoir fait découvrir la truffe avant, il est vrai que nous nous retrouvons surtout aux beaux jours et la truffe est un délice d'hiver, je n'en démords pas, l'été je l'apprécie moins... Donc rendez-vous pour des agapes truffées l'hiver prochain, mais j'espère que nous nous reverrons avant... Bises, Minne

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  3. Chère Minne, j’ai tout appris, merci ! Pour moi, la truffe était une terra incognita...Dans ma Sologne natale, on se régale de ceps et de girolles, tu as bien connu!
    Même si je me souviens encore avec émotion d’un déjeuner à Lourmarin, à l’auberge La Fenière chez Reine Samut dans les années 90 (!)...«tout truffes». Tu fais sans doute aussi bien !
    Je t’embrasse.

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    1. Ah! la Fenière, nous avions bien des fois projeté d'y déjeuner, et puis les circonstances ont fait que ... et maintenant je ne sais pas si elle exerce encore ou si c'est sa fille... Merci de croire que je fais aussi bien, mais c'était moins évident chez "Un Jour un Chef", je réussis mieux à la maison dans mes casseroles... Ce fut une bonne soirée quand même... Bises, Minne

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  4. Bjr, la truffe, tout un poème, malheureusement pour moi saveur inconnue, et pourtant en Bourgogne aussi nous avons "notre truffe" moins grosse et moins parfumée que celle de votre Périgord, et à vous lire ma gourmandise naturelle (non la gourmandise n'est pas un défaut) me dit pourquoi ne pas se laisser tenter,(j'attendrais Noël, car vu le prix ce sera un met d'exeption). Bonne journée

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    1. Bonsoir mystérieuse Marie, je sais maintenant que vous êtes bourguignonne (je pensais que vous étiez du 63, je ne sais pas pourquoi), autre terre de gastronomie que j'apprécie depuis longtemps (en particulier grâce à Colette, tellement gourmande elle aussi). La gourmandise n'est pas un défaut, encore moins un péché... Merci pour votre fidélité, amicalement, Minne

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  5. Bjr, je ne suis pas mystérieuse, mais il est vrai qu'à lire le blog on a l'impression de vous connaitre, mais la réciproque n'est pas forcément vraie, bourguignone, citadine avec un petit jardin j'ai découvert votre blog en suivant celui de Marie et les Agapanthes. Un peu de mystère dévoilé. Bonne journée.

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