Petites déceptions et grands émerveillements

Je viens de lire "Voyage dans les Cévennes avec un âne"de Stevenson, je viens de faire le "Voyage en Italie avec un chien", moins épique mais aussi riche d'enseignements.  Le monde en vacances regorge d'amis des chiens, c'est incontestable ! Mais si par hasard vous êtes allergique à la gent canine ne lisez pas ce qui va suivre, vous risqueriez au mieux l'ennui, au pire une crise de nerfs...


Se balader le nez au vent loin de chez soi en tenant son chien en laisse est la meilleure façon de faire des rencontres. Il est curieux de constater qu'un joli chien attire plus les regards et les commentaires sympas que l'enfant le plus mignon. Pour nous il n'est pas question d'abandonner Nala dans une pension canine, elle est de tous nos voyages et même si c'est une sacrée contrainte nous en sommes ravis et elle aussi. Comment, que dites-vous ? Que nous radotons, que nous sommes gâteux ? Que nous faisons de l'éthologie pour les nuls ? Ecoutez plutôt : quand Nala est bien elle rit, c'est évident... Quand elle est mal elle se renfrogne, ses yeux sont tombants et sa truffe est chaude... Et quand elle est très très mal elle vomit, comme après les virages en épingle de l'Escarène, où elle nous a restitué son repas  de croquettes rouges sous forme de coulis jaune, une grande magicienne notre Nala ! L'ennui est qu'elle a fait son numéro hoquetant sur la terrasse d'un bar... heureusement aucun cul-pincé pour trouver à redire, que des regards de compassion même chez les barmaids qui m'ont fourni le rouleau de Sopalin. Le parti animaliste aurait dû avoir plus de voix...

 Devinez ce qui intéresse autant ce joli matou...

La sagesse attentive de notre Nala vautrée sur le carrelage...

Nous pensions qu'adulte elle séduirait moins que la peluche de six mois que nous avions emmenée à Venise il y a quatre ans...


Pas du tout, c'est fou ce qu'elle a comme charisme, il suffit qu'elle plante ses quinquets sombres dans les yeux d'un passant pour qu'il craque et s'arrête, nous demandant s'il peut la papouiller... Mais gare à ceux qui ne préviennent pas et qui ont des gestes brusques, ces malappris ont droit à un retroussage de babine inamical accompagné d'une menace gutturale et retirent bien vite leur main avant d'y laisser un doigt, Nala sait se faire respecter... Sur la photo elle est devenue rose après un bain dans le lac de Salagou...

De multiples conversations donc sur le mode badin-canin, des échanges purement canins aussi mais avec certains chiens seulement, Nala est sélective et nous ne savons jamais si le/la prétendant /te inconnu/e plaira à mademoiselle. Elle n'a pas d'idées préconçues sur les races mais n'aime pas qu'on la flaire en un point précis de son auguste derrière sans préliminaires. Un mâle un peu trop entreprenant et c'est la cacophonie aboyeuse, il faut vite séparer les belligérants avant l'émeute. 

Je sens que vous êtes au bord de l'overdose, je reviens à notre voyage...

Première halte chez l'accorte Géraldine, superbe maison dans les oliviers de Saint-Paul-de-Vence, bourg fortifié et perché (mais là-bas ce n'est pas une originalité, ils le sont tous), village bien léché d'artistes et de nantis, terrasse parfumée où nous dînons sous des orangers, promenade romantique le long des remparts dans des senteurs de jasmins et de daturas...


Puis le lendemain  nous nous offrons une rasade de nostalgie sur les sentiers du littoral du Cap d'Antibes où plus de dix ans, dans une autre vie un peu plus trépidante, j'échappais pendant les vacances scolaires aux grisailles nordiques, je rêvais à chaque fois d'une improbable mutation que je ne demandai jamais... J'avais un chien en ce temps-là aussi, un superbe husky aux yeux vairons nommé Alaska... personne ne demanda jamais à le caresser, son regard le rendait inquiétant et pourtant malgré quelques fugues il ne nous posa aucun problème...

Nala et son maître barbotant joyeusement dans une crique, je décidai de les rejoindre, j'avançai un pied prudent dans l'eau transparente pour constater une fois de plus que les petites méduses, si gracieuses dans leurs mouvances mauves, n'avaient pas déserté les criques du cap... Trois fois piquée autrefois, de plus en plus allergique, je renonçai alors aux joies de la baignade. Je ne m'y risquai pas là non plus...

Enfin le lendemain, après un déjeuner de poissons à Golfe-Juan sur le port, au départ de la route Napoléon qui s'en va tournicoter vers Grasse, Castellane et Digne... les méandres de la haute corniche, la découverte en contrebas des constructions vertigineuses de Monaco, le nouveau palace-hôtel qui semble en équilibre instable sur un éperon rocheux, rien qui vous enchante...


Mais dès Menton ô merveille ! voici la rutilante côte des fleurs de la Riviera ligure, croulant sous les bougainvilliers d'un violet éclatant pour la plupart mais aussi rose pâle, mais aussi mauves, mais aussi écarlates ou carmin, à eux seuls ils sont une règle d'orthographe... relayés entre les vieux murs par d'intrépides lauriers-roses allant du blanc le plus pur au rose tendre, aux teintes saumonées et même parfois corail, auxquelles répondent les avalanches de corolles d'encre des ipomées... Je pense aux trois malheureux pieds de mon balcon qui jusque là ne m'ont fait que des feuilles...


Et toute une luxuriante végétation d'oasis dans des jardins perchés, cactus énormes et palmiers dégingandés, aloe vera et figuiers de Barbarie, pittosporums et agapanthes, on roule dans un jardin botanique, à condition de prendre un peu de hauteur sans se laisser tenter par l'autoroute : la route de la corniche, au-dessus de Bordighera, est une splendeur -les propriétés somptueuses ne sont pas pour toutes les bourses- et cette vue magistrale sur la mer, la mer sans les inconvénients que l'on connaît ; car en bas, presque au ras des flots, ça bouchonne, c'est laid, on roule entre la voie ferrée et les immeubles, de nombreux chantiers, ça ressemble à bien des bords de mer... et l'on se dit : "ce n'est que ça, Bordighera !" La route de la corniche, enchanteresse, est mal indiquée, il faut bien la chercher mais elle mérite largement quelques tâtonnements...


Direction Acqui Terme, nous roulons sur l'autoroute bondée Gênes-Turin et vers ma première déception, je vous l'ai dit plus haut, plus de thermes, juste une fontaine d'eau fumante à 74°... gare à celui qui voudrait prendre un bain de pieds !


Mais faute de nous offrir des bains salutaires, la région nous gâta malgré tout : sur une colline au milieu des vignes notre première halte italienne, une superbe agriturisma productrice d'un vin que nous dégusterions au dîner, un vin cousin du fameux Barolo, beaucoup moins cher mais sans doute aussi bon. Le panorama sur les moutonnements bleutés des collines piémontaises était magistral, Nala courait dans les vignes, Jean faisait la conversation à un vieux paysan qui s'occupait de ses tomates (Jean ne s'intéresse pas forcément à la culture des tomates mais il est ravi de parler italien, l'italien de la terre ou de la rue, le plus savoureux).

En chemin j'ai eu la peur de ma vie, la montée vers Bussana Vecchia, village perché détruit par un séisme en 1887 et réhabilité à partir des années 60 par des artistes venus des brumes, j'étais curieuse de voir ça, au début pas de problème... Cependant au bout de quelques centaines de mètres, la route se cabosse, se rétrécit, les lacets deviennent des épingles, des travaux, pas de parapets, des bas-côtés improbables, des ravins profonds, des à-pics juste là, sous mon nez, des blocs rocheux fracturés par le séisme... Vertige... je n'avais plus du tout envie d'aller à la rencontre des artistes, s'il en reste encore ! Tant pis,  nous repartons vers des contrées moins escarpées, nous ne verrons jamais Bussana Vecchia. J'ai eu peur -c'est mon côté lièvre- et pourtant nous n'avons croisé aucune voiture, je me demande encore comment nous aurions fait... comment font-ils donc ceux de là-haut ?

Le village des roses, Bossolasco, est plus accessible, et c'est une pure merveille : d'abord parce qu'il est pittoresque, mais surtout parce qu'il est tout fleuri de roses, enfin parce qu'il témoigne d'une entente rare entre ses habitants... Même les plaques métalliques des compteurs d'eau sont des œuvres d'art, les boîtes aux lettres sont peintes elles aussi, des sculptures partout, des détails qui arrêtent le regard, émouvants parfois... si tous les petits villages devenaient aussi pimpants comme le monde serait plaisant ! 






San Remo, son animation nocturne, ses orchestres de rue, ses belles boutiques, ses rues piétonnes jalonnées de petits restaus dans les vieux quartiers... C'est dans l'un de ces restaurants que j'ai enfin eu droit aux tagliatelles aux truffes, n'en déplaise aux puristes d'Alba, et le lendemain aux meilleures pâtes aux cèpes qu'il m'ait été donné de manger, des funghi d'une texture si fine et d'un goût si exquis sur de la pasta della casa que j'en salive encore. En Italie je mangerais des pâtes tous les jours sans jamais me lasser...

Excursion à Cervo, un bijou perché au-dessus de la mer entre Imperia et Gênes ; balade dans les ruelles étroites, pause smoothie sur une placette d'opérette face à une église baroque, tout ocre jaune à l'extérieur, fresques aux couleurs passées à l'intérieur, des dorures, des angelots partout, une impression de suranné, de temps suspendu... Puis le musée municipal et sa collection de poupées, non, pas des barbies à l'américaine, mais des poupées de même format qui animent des saynètes en 3 D évoquant à travers le costume et le décor l'évolution de la condition féminine depuis plus d'un siècle... 


Retour en France : Menton, enfin une plage où je peux emmener Nala sans m'offrir un transat (à San Remo, la seule plage à chiens était privée)... Une eau transparente, tiède, sans méduses, une plage de galets, très propre et tranquille, le bonheur ! Mais Nala n'aime pas me voir nager, elle craint que je ne sois en danger et se croit obligée de m'escorter, prête à se noyer pour me sauver... Jean travaille sur Nice où il retrouve à midi son ami Fred, Nala et moi déjeunons entre filles d'un pan bagnat que nous nous partageons... Aujourd'hui c'est régime...


Ici, c'est aussi F., mon amie F. avec qui nous déjeunons, puis nous dînons, et entre les deux de longues conversations sur les problèmes qui sont dans l'air du temps... F. sait de quoi elle parle, elle est pneumologue, c'est un régal de l'écouter, cela nous change vraiment des discours ambiants... F. doute, comme tout esprit scientifique qui se respecte. F., pourtant surbookée, a toujours trouvé un peu de temps pour nous à chacun de nos passages sur la Côte d'Azur.



Et encore ce restaurant italien du vieux Menton où les spaghettis aux vongoles m'ont laissé un  tel souvenir gustatif, le premier soir, que nous y sommes revenus le lendemain pour reprendre les mêmes, que nous.reviendrons un jour à Menton pour retrouver cette saveur... mais pourquoi Menton est-elle si loin, au-delà des poules et des tunnels ?


Le lundi étant férié, nous le passons autour d'un barbecue délicieux chez des amis, sur une terrasse d'où l'on voit Vence et les Baous, et plus loin dans la brume le col de Vence où se produisent dit-on d'étranges phénomènes ;  fraîcheur inattendue du petit bois derrière leur maison, questions du garçonnet qui mâchouillait des feuilles de plantain et voulait tout savoir sur les herbes comestibles. Un futur herboriste, qui sait ? 

Le dernier jour est consacré à la Haute-Provence, nous avons choisi la route des lavandes : nous parcourons les petites départementales du Haut-Var, quelques jolis villages comme Flayosc où l'on déjeune sous les platanes de la place, installés près d'un couple de Hollandais bavards qui passent la belle saison ici, les veinards ; Villecroze, Aups, juste entrevus et qui mériteraient mieux et enfin, merveille des merveilles, le lac de Sainte-Croix, d'un bleu à faire pâlir le ciel, tranquille dans son écrin de falaises, qui n'en finit plus de se répandre entre les vallées, qui inviterait à la baignade et au farniente si nous avions le temps... Là aussi nous reviendrons...

Valensole me déçoit un peu, je l'avais imaginée noyée dans les champs de lavandes ; or il faut faire quelques kilomètres, sur la route de Puymoisson, pour les trouver... Nous rencontrons dans une ferme un lavandiculteur très âgé qui nous vante ses produits avec une certaine gourmandise dans son oeil bleu pétillant, alors qu'il aurait l'âge de s'ennuyer ferme en Ehpad. Il n'y a pas à dire, l'activité, ça conserve, et la lavande aussi sans doute.

Après le plateau de Valensole, Forcalquier, Banon et sa labyrinthique librairie, Simiane la Rotonde, puis le plateau d'Albion, ses panneaux solaires et ses mystères, enfin Sault où nous passons la nuit, dernière halte du voyage... si j'excepte cet arrêt que je propose à Jean pour voir à Avignon LA boutique, celle qu'une créatrice a aménagée dans un superbe hôtel particulier du vieil Avignon ; Vox Populi, pour quelqu'un qui crée des bricoles comme moi, c'est une mine, c'est une merveille...




J'allais oublier notre gentille hôtesse dans ce hameau perché près de Sault face au Ventoux, sur la route des gorges de la Nesque, qui nous a bien gâtés pour notre dernier repas provençal : petit déjeuner pantagruelique, avec œufs de ses poules, crêpes et confitures maison, pain et croissants frais alors que nous étions à 9 kilomètres de route escarpée de la première boulangerie et à 600 mètres d'altitude ! Cela s'appelle chouchouter ses hôtes, nous regrettions de n'y passer qu'une nuit... Et puis, cerise sur le gâteau, elle était originaire de Lourmarin et avait bien connu Camus ...

Le lendemain nous prenions la route du retour pour retrouver en Périgord de violents orages... La parenthèse méditerranéenne n'en paraissait que plus belle...

A bientôt !

6 commentaires:

  1. Quel joli périple et si bien raconté. Je te reconnais bien Monique.

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  2. Je me suis délectée à la lecture de ce voyage en Italie ! On lit tes textes avec gourmandise, tant les mots choisis pour décrire tes découvertes sont savoureux et pour filer la métaphore, je finis avec l'eau à la bouche à l'idée de spaghettis aux vongoles ou de tagliatelles à la truffe. Mon quart de sang italien frémit doucement et me dit qu'un jour , il faudra que j'aille sur les traces de mes ancêtres, dans le petit village d'Issiglio perché dans les montagnes au dessus de Turin et à l'est du massif du Grand Paradiso. Merci pour ce beau voyage. Bises Marie*

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    1. Merci Marie pour cet élogieux commentaire ! Chez moi il est vrai que la gourmandise est indissociable d'un voyage réussi, seuls les gourmets me comprennent, les autres doivent penser que je ferais mieux de m'attarder dans les musées, ce qui va un moment, et puis avec Nala ce n'est pas facile, ça nous fait une bonne excuse (tandis qu'au restau en principe elle est acceptée, parfois même gâtée). Donc tu as très bien compris que mes émerveillements passaient aussi par les papilles... Amitiés, Monique

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  3. Bjr, rentrée de vacances moins lointaines (en Tourraine pour redécouvrir les châteaux de la Loire) je lis avec plaisir le récit des vôtres, et j'en profite car mes pas ne m'emménerons certainement jamais aussi loin, bien que l'Italie soit une région qu'il me plairait de découvrir. Comme vous je n'envisage pas les vacances sans découvertes culinaires, ah la gourmandise... pour moi ce n'est pas un défaut. Merci pour ce partage.

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    1. Bonjour Marie, merci d'avoir pris le temps de lire ce petit billet, que j'ai concocté dès mon retour afin de ne rien oublier de mes enchantements et de mes frayeurs. Mais comme vous j'aime aussi la Touraine et ses châteaux (et ses vins et sa gastronomie, vous vous en doutez bien...). Gourmets de tous les pays, unissez-vous !

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